Journal d’un élève de 1947

« Un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir » Victor Hugo

Le texte ci-dessous est un résumé de ce journal.

Ce journal retrace par le détail les premiers vols de Guy Robineau, âgé alors de 22 ans. Tout y est décrit, du baptême de l’air effectué en STAMPE avec Mr Ledauphin à ses premiers vols en passant par son lâché. Surtout il nous fait part de ses sensations éprouvées à l’occasion de ces vols et des personnes rencontrées.

Plus qu’un journal intime, il nous permet de connaître les premiers temps d’aprés guerre, où l’aéroclub d’Avranches a pu reprendre son activité. C’est au travers de ce journal que nous retrouvons quelques personnes dont les noms résonnent encore aux oreilles de quelques membres : Mme Lebrun (épouse de Mr Lebrun qui fut instructeur et Président de l’aéroclub durant de longues années), de Mr Ledauphin (instructeur militaire nommé après la guerre à l’aéroclub), des fréres Tabur, de Mr Cherpitel, et de Fred Nicole.

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Nous retrouvons également les machines de l’époque dont certaines volent encore : le Piper Cub F-BDTG récupéré des surplus de l’armée américaine à Rennes et qui appartient maintenant à un pilote allemand (clin d’oeil de l’Histoire), le Stamp F-BCOY qui vole désormais sous les cieux britanniques.

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Il nous permet également à travers de ce récit de retrouver les premières émotions éprouvées lors des premières fois : baptême de l’air, lâcher. Qu’à cela ne tienne il économise sur tout : cinéma, sorties, « gâteaux » (sic) , « apéritifs ». Il sacrifie même ses vacances !

L’aventure

Après de longues hésitations, sa décision est prise. Il veut apprendre à piloter. Seulement, cela coûte un peu (beaucoup) d’argent. Une heure de vol coûte 1800frs de l’époque (soit environ 83 euros de 2003). Il faut 25000frs (soit environ 1164 euros de 2003) pour passer son 1er degré. Ces chiffres pour qu’ils aient un sens sont à rapprocher du salaire moyen de 1951, qui convertis en valeur de 2003, représentent 510 euros.(source insee)
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Son entourage bien que peu surpris lui dit que c’est une « folie ». Mr Robineau est « baptisé » le 25 avril 1947 à bord du Stampe piloté par Mr Ledauphin.

Il nous raconte : « Pour la première fois de ma vie, j’allais monter en avion, aussi j’ai eu du mal à retenir ma joie. L’avion est là argenté et brillant, c’est un Stampe biplan ; il paraît tout neuf et a vraiment belle allure.

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Après avoir mis un casque, je suis monté à la place arrière et Mr Ledauphin m’a attaché avec les courroies autour des cuisses et des épaules pendant que Mr Hay faisait quelques clichés.

 

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Puis Mr Ledauphin a donné quelques tours d’hélice à la main, s’est installé à son poste de pilotage ; un coup de démarreur et le moteur s’est mis à ronfler. Après avoir laissé le moteur tourner un moment, les cales sont enlevées et l’avion commence à rouler doucement pour aller prendre son terrain face au vent. Puis progressivement le moteur s’accélère ; nous roulons de plus en plus vite, l’avion vibre de partout, le vent siffle, le bruit du moteur est assourdissant.

Et voici que déjà la queue se soulève, nous sentons de moins en moins le sol, puis plus rien, nous sommes décollés et le sol s’éloigne rapidement ; nous nous dirigeons vers le Mont Saint Michel… ».

Lundi 2 juin 1947 : première leçon. Il nous dit : « J’ai appris à mettre l’avion en montée, en ligne de vol et en descente« . Elle a duré 10 minutes ! Deuxième leçon le lundi suivant : c’est le début des tours de piste. Laissons-le nous décrire cette leçon :  » Mr Ledauphin a exécuté le premier tour, que j’ai suivi aux commandes. Ensuite il a décollé et m’a laissé les commandes. Ca a été désastreux. M’étant mal repéré au sol, je ne savais plus où virer et au lieu de décrire un rectangle je zigzaguais lamentablement, laissais l’avion monter et oubliais quelques manoeuvres…«  Il se rend compte à cet instant que piloter n’est pas aussi simple que cela. Durant ces leçons il croise d’autres élèves : Mme Lebrun, Mlle Tabur, Mr Cherpitel.

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La tenue machine s’améliore au cours des leçons suivantes, et au cours de l’une d’entre elles, il nous livre quelques détails sur le comportement de son instructeur : « …Mr Ledauphin s’abstient de tout commentaire, peu de critiques, pas de compliments. Il est assez froid, il explique mes fautes et m’en corrige. En vol il semble indifférent à ce que qui se passe et ne corrige qu’au dernier moment ».

Les heures et vols passent, et n’étant toujours pas lâché, il a des moments de doute, commençant à croire qu’il est « un mauvais élève« . Il n’a que 4h10 de vol !

Le lâché

Le lâché intervient le 4 juillet 1947 : « Nous avons d’abord fait un tour de piste, l’atterrissage a été bon, puis un second également satisfaisant. Alors Mr Ledauphin a débouclé sa ceinture et est descendu sans rien dire. J’ai cru qu’il allait vérifier quelque chose. Puis tout à coup j’ai pensé au lâcher, était-ce arrivé ?.. Mr Ledauphin s’est alors penché vers moi et m’a dit en souriant : allez et faites attention aux bidons » (au centre du terrain il a quelques bidons qui signalent le mauvais état du sol et je décollais dans cette direction).

J’étais très ému mais je ne voulais rien laisser paraître. J’ai fermé la porte et, sur un signe de Mr Ledauphin, j’ai mis doucement les gaz. Je réalisais assez mal ce qui m’arrivait malgré que je l’espérais tous les jours.

Je poussais la manette des gaz à fond, l’avion prenait de la vitesse, la queue déjà se soulevait et sans même que je tire sur le manche, j’avais quitté le sol. J’étais surpris. Que se passait-il ?

Je m’aperçu alors que j’avais oublié de remettre le fletner – petite porte latérale, ndlr – ,aussi j’avais décollé trop vite et je montais trop rapidement. Tant bien que mal je réussis à tout remettre en ordre. Ca débutait plutôt mal ! Je repris mon sang-froid, mais malgré tout je tremblais en serrant le ‘manche à balai’.

Devant moi maintenant le siège était vide et je pensais qu’en cas de fausse manoeuvre il n’y avait plus personne pour me rattraper. Une foule d’idées me traversait la tête et il me semblait que je rêvais…. »

Tout se passe bien et Mr Ledauphin lui permet même un deuxième tour. Commentaire lapidaire de l’instructeur : « C’est bien« . S’en suivront tours de piste, exercices de maniabilité (montée verticale terrain à 600m et descente en PTS, prise de terrain en décrivant des trajectoires perpendiculaires à l’axe de piste). Sa formation débutée en avril 1947 se terminera en septembre de la même année avec l’obtention de son Brevet de Pilote. Il est à noter qu’à cette époque ce titre était délivré par l’Aéroclub de France.

Cette formation semble courte, en effet à cette époque pour obtenir son brevet, on disait alors 1er degré, il était nécessaire de voler au moins 15 heures dont 5 seul à bord et de justifier au moins 30 atterrissages.

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Quelques informations météo dans ce journal …

On peut relever dans ce journal quelques informations intéressantes sur la météo de cette année 1947.

Mai :  » …/…jusqu’ici il a fait un temps de chien »

Lundi 9 juin : « Ayant fait mauvais temps toute la semaine dernière…/… »

Samedi 21 juin : « Je suis resté 10 jours sans pouvoir descendre, il a fait un temps épouvantable…/… »

Mardi 1er juillet : « 20′, seulement aujourd’hui. Il faisait d’ailleurs plutôt mauvais avec un vent assez fort »

Mardi 15 juillet : « Décidément je n’ai pas de chance ; après le mauvais temps…/… »

Samedi 19 juillet : « Il ne faisait pas très beau aujourd’hui et le ciel était orageux »

Mercredi 23 juillet : « Le mauvais temps a repris. Depuis samedi il a fait tempête…/… »

Décidément « y a plus de saison » même hier … en 1947 !

Guy Robineau est revenu récemment en 2004 à l’aéroclub à l’occasion de vols effectués par ses filles Pascale et Joëlle.

Phil. 08/12/2004.